Quels sont les enjeux de la ReComp’ ?

Avec une reconnaissance à Bac+3 dans la FPH, les orthophonistes touchent un salaire très insuffisant compte tenu de leur diplôme. De même, les orthophonistes choisissant d’exercer dans le secteur privé sont rémunérés selon des conventions collectives, négociées par leurs supérieurs sur la base de celle de la FPH ;  ils sont donc injustement reconnus dans le public comme dans le privé.

Historiquement, l’orthophonie s’exerçait principalement en milieu hospitalier. Peu à peu, la tendance s’est inversée et on observe aujourd’hui une sur-représentation de l’exercice libéral par rapport à l’exercice salarié, malgré d’importants besoins en structures médico-sociales et sanitaires. Au 1er janvier 2019, selon la DREES (Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques), le nombre d’orthophonistes en activité s’élève à 25 607, dont 20 787 ont une activité libérale ou mixte (soit 81,1 %). En conséquence, malgré la demande et les besoins, de nombreux postes restent vacants. Chaque année, la FNEO mène une enquête à destination des néo-diplômés afin d’avoir des informations sur leur installation. 
En 2018, l’enquête sur l’installation a révélé que 72 % des néo-diplômés s’installent en libéral, pour seulement 17 % en salariat et 11 % en exercice mixte. En s’intéressant aux facteurs de choix du mode d’exercice des néo-diplômés, il apparaît que 43 % d’entre eux choisissent l’exercice libéral  en partie pour des raisons économiques. Cette étude n’a pas pu être réalisée en 2017, en raison de l’année blanche due à l’allongement des études de 4 à 5 ans : aucun orthophoniste n’a donc été diplômé cette année. 
On constate donc un vrai manque d’attractivité du salariat en orthophonie chez les néo-diplômés. Le manque de reconnaissance du statut et des compétences ainsi que la différence de salaire avec le libéral provoquent une fuite des orthophonistes des postes salariés, et cela est lourd de conséquences. 

Conséquences pour les patients : 

Tout d’abord, l’absence d’orthophonistes en milieu hospitalier nuit à la prise en charge des patients en entraînant une dégradation de la qualité et de la continuité des soins. En effet, dans les structures médico-sociales et sanitaires, le soin orthophonique est spécifique, la pratique y est différente de l’exercice  libéral. Mesurer les capacités communicationnelles d’une personne en éveil de coma, évaluer sa capacité à déglutir, solliciter la succion et la déglutition chez un nouveau-né prématuré, apporter des éléments précoces de prise en charge et des moyens compensatoires en urgence si cela s’avère nécessaire sont des exemples d’interventions hospitalières, qui sont parfois vitales et dont l’expertise revient aux orthophonistes.

La demande est grande et variée dans les services hospitaliers. Un orthophoniste est amené à intervenir auprès de (liste non exhaustive) :

  • Patients ayant subi une intervention chirurgicale ORL : évaluation et remédiation des troubles de la déglutition, de la phonation et de l’articulation dans les cancers bucco-pharyngo-laryngés
  • Patients ayant des troubles du langage faisant suite à un accident vasculaire cérébral : évaluation et remédiation précoce de l’aphasie
  • Patients ayant une paralysie faciale périphérique nécessitant une prise en charge spécifique
  • Patients ayant des troubles de la déglutition, articulation, voix, troubles cognitifs consécutifs à des maladies neurodégénératives
  • Très jeunes patients ayant des troubles de l’oralité consécutifs à une alimentation non naturelle
  • Jeunes patients ayant des troubles de la parole et des fonctions ORL consécutifs à des malformations ORL

En milieu hospitalier, une prise en charge orthophonique immédiate est essentielle en phase aiguë, mais ne peut souvent pas s’effectuer en raison de la pénurie d’orthophonistes. Ces patients doivent, à leur sortie, se rediriger vers des cabinets libéraux et être pris en charge de manière urgente afin de ne pas trop impacter leurs capacités de récupération. Ils devront  cependant se confronter à des listes d’attente considérables entraînant des délais d’intervention bien trop longs. 
Ainsi, ces patients ne bénéficient pas des soins optimaux, recommandés par la HAS (Haute Autorité de Santé), et viennent, bien malgré eux, engorger les cabinets libéraux déjà surchargés.

Par ailleurs, une profession qui disparaît de l’hôpital et des structures médico-sociales et sanitaires est une profession qui sort du paysage de la santé. En effet les médecins, formés dans ces structures pendant leur internat, sont de moins en moins en contact avec les orthophonistes dans les services hospitaliers. Or, les médecins sont les prescripteurs d’actes orthophoniques ; en l’absence de sensibilisation spécifique au métier d’orthophoniste durant leur formation théorique, lorsque les médecins ne sauront plus qui sont et ce que font les orthophonistes, comment prescriront-ils les soins nécessaires ? Le champ d’expertise des orthophonistes est également de moins en moins connu des autres professions exerçant à l’hôpital et d’autres structures médico-sociales et sanitaires touchées par la pénurie qui, en l’absence de sensibilisation aux pathologies prises en charge par les orthophonistes, peuvent administrer des soins inadéquats aux patients. 

Conséquences sur les orthophonistes exerçant en libéral :

La pénurie d’orthophonistes salariés a un impact important sur les professionnels exerçant en libéral : les patients n’ayant pas bénéficié d’une prise en charge lors de leur séjour hospitalier se tournent vers le libéral, ce qui a plusieurs conséquences. D’abord, ces patients ont souvent de lourds problèmes de communication qui doivent être traités dans l’urgence, mettant les orthophonistes en libéral dans une situation éthiquement difficile : privilégier les patients sortant de l’hôpital et ayant parfois des risques vitaux, ou bien, suivre leur liste d’attente pouvant aller jusqu’à 2 ans dans les zones sous-dotées et prendre en charge un jeune patient avec un bégaiement qui, s’il n’est pas rééduqué rapidement, le conservera toute sa vie ? Les patients sortant de l’hôpital nécessitent souvent une prise en charge intensive de plusieurs séances par semaine recommandée par la HAS sur plusieurs mois, voire plusieurs années. La pénurie de salariés force les orthophonistes libéraux à trouver rapidement de la place à des patients lourdement handicapés, qui relèvent normalement de la prise en charge hospitalière. Cela se fait au détriment des patients qui relèvent de la prise en charge en libéral, qui se voient ainsi contraints d’attendre des soins qui leur sont tout autant nécessaires.
L’engorgement des cabinets libéraux implique que même si ces patients trouvent une place rapidement en libéral, ils ne bénéficieront pas d’une prise en charge idéale, puisque l’emploi du temps fréquemment chargé des orthophonistes ne leur permet qu’une rééducation bi-hebdomadaire au mieux. Ces patients ne profiteront donc pas de soins optimaux, ni en hôpital ni en cabinet libéral.
Enfin, un patient venant de l’hôpital a parfois des difficultés telles que la rééducation peut être dangereuse sans matériel adéquat : en effet, si le patient fait des fausses routes systématiques, rééduquer sa déglutition sans sonde d’aspiration ou personnel hospitalier capable de pratiquer les manœuvres d’urgence peut présenter des risques vitaux pour le patient. Un orthophoniste en libéral n’est donc parfois tout simplement pas équipé pour prendre en charge des patients n’ayant pas bénéficié de soins en phase aiguë. 

Conséquences sur les étudiants en orthophonie :

Les étudiants en orthophonie sont également touchés par la perte d’attractivité du milieu hospitalier.
En effet, les études d’orthophonie, comme l’ensemble des formations de santé, se caractérisent par de nombreux temps de formation clinique en milieu professionnel (près de 50 % de temps de formation, toutes années confondues). L’orthophonie est une discipline extrêmement vaste, ce qui rend les terrains de stages très différents les uns des autres.
Les stages en milieu hospitalier permettent d’expérimenter le travail pluridisciplinaire et d’être en contact avec une patientèle spécifique. Pour être formé efficacement, l’étudiant doit donc découvrir l’ensemble des pratiques et champs d’intervention de l’orthophonie en situation clinique. 
Cependant, aujourd’hui, il s’avère très compliqué de découvrir le milieu hospitalier. En effet, avec seulement 1 876 salariés dans la fonction publique hospitalière, les 4 110 étudiants ne peuvent pas tous avoir accès à des stages hospitaliers au cours de leurs études.
De plus, nombre de ces postes sont en réalité assurés par des orthophonistes fonctionnant en exercice mixte, ce qui rend le suivi de l’étudiant très contraignant, voire impossible. Les 1 876 orthophonistes salariés ne peuvent donc pas tous accueillir des stagiaires, loin de là.
Enfin, de par leur raréfaction, ces terrains de stages contraignent les étudiants à d’importants déplacements pour s’y rendre, et donc à assumer des frais considérables, alors même qu’ils ne sont ni gratifiés ni indemnisés : le critère financier restreint donc encore l’accès aux stages de l’étudiant qui doit souvent effectuer des « choix » par défaut.
Ainsi, les terrains de stage inexistants conduisent à des étudiants moins sensibilisés et moins formés aux pratiques professionnelles en milieu hospitalier. Ils seront donc pour la plupart moins attirés par ce mode d’exercice en projection de leur pratique future, et la disparition de l’orthophonie du paysage hospitalier en sera d’autant plus accélérée.
D’autre part, les orthophonistes salariés sont généralement les plus demandés par les CFUO ; leur expertise est recherchée pour enseigner aux étudiants, car il est indéniable qu’un orthophoniste travaillant dans le même service depuis plus de 10 ans est devenu expert d’un domaine spécifique. 
Cette pénurie se répercute donc également sur la formation théorique des étudiants.

C’est pour cela que la FNEO, associée à l’intersyndicale des orthophonistes, ne réclame ni prime ni autre aide ponctuelle : nous avons besoin d’une solution pérenne pour garantir la qualité des enseignements, qui ne peut se faire que via une revalorisation de nos grilles salariales ! Il est urgent de remédier à ce problème, la pénurie d’orthophonistes en salariat ayant des répercussions à court, moyen et long terme non négligeables.

 

La suite, c’est par ici :

Historique de la ReComp’